Corona. Vis. Ruse.

Depuis quelques jours, tu viens de découvrir que non, les méchantes choses ne s’attaquaient pas seulement aux pauvres petits Africains sans défenses et que toi, européen verni, européenne insouciante, tu pouvais aussi être touché-e par le malheur. Allez, au fond de toi, tu le savais déjà. Seulement, tu préférais ne pas y croire, te penser protégé-e, invincible, hors de portée. Et paf. Boomerang. Le coronabidule est entré dans ta vie.

Isolement, confinement, télé-travail et télé-relations. Il va falloir que tu revoies tes schémas mentaux et ton organisation quotidienne. En espagnol, on dit « no hay mal que por bien no venga ». En gros, à tout malheur, ses répercussions positives. Ensemble, je te propose qu’on essaie d’y réfléchir.

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Alors, d’abord, tu t’es bien rendu compte que les gens avaient instantanément pensé à deux choses : manger et faire caca. Ils se sont rués (non… pas toi !?…) sur les pâtes et le papier WC. Ce qui est assez étonnant, c’est de voir à quel point chacun s’occupe avant tout de son petit derrière. Au sens propre comme au figuré. L’individualisme en pleine lumière. Peu importe qu’il ne reste rien pour les autres si moi, j’ai ce dont j’ai besoin. Oui, petit bisounours, tu viens de réaliser que notre société était tout ce qu’il y a de plus égocentrique. Et ça t’en a fichu un coup ? Voir les gens ne pas suivre les consignes de sécurité, être rétifs aux recommandations, ça t’a miné ? Je comprends. Allez, regarde donc le verre à moitié plein. Peut-être qu’après cela, on aura plus de considération pour les gens qui sont vraiment dans le besoin, pour les réfugiés des pays en guerre, pour les sans domicile, pour tous les exilés de la terre. Enfin, on l’espère.

A ta petite échelle, que peux-tu faire ? Retrouver une utilisation raisonnée des réseaux sociaux. Prendre des nouvelles de la famille, des amis. Te rendre compte qu’après, tu auras envie d’aller leur rendre visite, parce que tu l’as souvent envisagé et jamais réalisé. Pas le temps. Le planning. La vie qui court. Or, depuis que tu es confiné-e, tu rêves de prendre Archimède ou Célestine dans tes bras. Après, chouchou, jure-moi que tu le feras. On se laisse tout le temps dépasser par les événements et les choses pratiques prennent le dessus sur les priorités humaines. Quand on a la possibilité de le faire, cela nous rassure, on sait que l’on peut aller à Annecy ou à Brécy. Et on ne le fait pas. Et puis, maintenant que l’on est cloîtré comme des moinillons dans un ermitage tibétain, on se sent privé. Promettons-nous, à l’avenir, de faire passer la chaleur d’un feu de cheminée partagé avant le travail à terminer.

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Par ailleurs, Doudou, il va bien falloir que tu t’habitues à tes cheveux blancs. Jusque-là, tu négociais tous les deux mois avec ton compte en banque pour que ton miroir sois satisfait de ce qu’il te renvoie. Aujourd’hui, la coquetterie, c’est fini. On ne te demande pas de ne plus jamais te teindre les cheveux. On te demande juste de réévaluer l’opinion que tu as de toi. D’être plus indulgent-e avec le corps que tu as. De te trouver beau/belle pour une fois. De faire la paix avec cette personne au demeurant fort jolie : toi. D’ailleurs, peut-être qu’après tu te maquilleras moins. Ah ! Et peut-être arrêteras-tu de porter ces chaussures élégantes mais trop étroites, ce pantalon tellement mode mais si serré pour aller travailler. Personne ne te demande de porter un corset. Une personne à l’aise dans ses fringues est une personne plus détendue. Respire. Porte des vêtements confortables, souples, doux.

Mon petit canard, prends soin de toi. Personne d’autre que toi n’est mieux placé-e pour le faire. Tu te maudis, hein, d’avoir jusqu’ici négligé cette petite douleur dans le poignet, ce dos qui tire, ces maux de ventre lancinants et tenaces ? Il fallait y penser avant. L’urgence sanitaire a fait que tes rendez-vous attendront. Mince. Cela t’agace, pourtant. Voilà ce qui arrive aux gens négligents qui ne s’écoutent pas. Cesse donc de museler ton corps. Ecoute-le, que diable ! Il te parle ! Ne sois pas ce genre d’individu qui se présume super héros. Sans devenir hypocondriaque pour autant, sois attentif à chaque manifestation corporelle. Si tu as mal, fais-toi soigner. C’est ce que tu conseillerais à un ami, pas vrai ?

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Découvre, dans un tout autre registre, que la majorité des trucs que tu achètes ne te sont pas essentiels. Un spray anti-calcaire, de l’essuie-tout, trois sortes d’éponges différentes. Et sinon, du vinaigre et du bicarbonate, du savon de Marseille, ça ne te suffirait pas ? Des crèmes dessert sans sucres ajoutés, ces petits gâteaux au chocolat que tu aimes tant, ton plat préparé préféré. Et de la farine, juste, un peu d’huile de coude, ça ne te convient pas ? Loulou, je te garantis que tu vas apprendre à simplifier ton alimentation. A te composer des festins avec trois fois rien. Ma grand-mère a bien raison : elle se contente de peu, des mêmes petites choses depuis des décennies. Elle se fait une fête d’un café qui chante et d’un petit sablé, d’une primevère qui éclot et de l’odeur de la sauge. Elle, dans des moments comme cela, elle ne sent privée de rien. Je la remercie d’ailleurs de m’avoir transmis cela. L’amour des choses simples. Pourquoi se compliquer la vie ? Prends-en de la graine, mon petit coquelicot des champs. Arrête de diversifier, de multiplier les choix. Profite de cette période pour identifier ce dont tu as réellement besoin, ce qui te convient le mieux et adopte cela pour le restant de tes jours.

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Je sais, lapin, avec Jean-Ferdinand, avec Jeanne-Fernande, il y a des hauts et des bas. Le confinement va révéler si vous êtes capables de vous entendre, d’être complices, de vous supporter 24/24 sans vous manger le nez. Le temps des concessions et de l’indulgence est venu. Fini les « je ne te supporte plus, je vais faire un tour en ville ». Terminé « le travail me permet de m’aérer ». La maison va être ton domaine et ses hôtes tes compagnons d’infortune. Fais-en des compagnons de fortune. Sois plus que jamais amis avec eux. Forme une équipe. Soude. Construis. Consolide. Apprends à compter sur l’autre pour te remonter le moral, à écouter sincèrement et attentivement ce qu’il a à te dire. Accepte de jouer avec tes enfants (tu leur mens si souvent, « je n’ai pas env… le temps »). Parle. Souris. Partage. Fais en série le nombre de câlins que tu as omis de faire depuis janvier.

Oui, je sais, le télé-travail, ce n’est pas si évident que cela. Tous les serveurs plantent. Tu galères sur la toile. Ton chef et tes collègues échangent avec toi à longueur de journée pour faire le point, avancer sur les dossiers. Tu te plains parfois de peiner à déconnecter, mais, au fond, ta maison est un refuge assez efficace contre les angoisses professionnelles. Maintenant que ton bureau, c’est ta cuisine et que tes horaires sont indéterminés, ta concentration est continue. Impossible de débrancher. Il n’y a plus de frontière. Tu vis en continu dans ton cabinet, ta salle de classe, ta salle de réunion. Même en prenant ta douche, tu y penses. La nuit, tu y penses. Aux toilettes… Oui, même aux toilettes. C’est là que tu vas découvrir si ton travail te manque. S’il est un poids trop lourd pour toi. Si c’est vraiment l’option qui te convient. Il est possible que tu prennes goût au télé-travail. Il est possible que tu te rendes compte que les relations sociales en valent la peine. Et si tu imaginais d’autres modes de fonctionnement professionnels ? Et si tu revoyais ta manière de bosser ? Choupinou, s’il te plaît, fais ce que tu peux et ne culpabilise pas. La période est compliquée pour tout le monde. Ne surestime pas tes forces.

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Lis. Prends un bain. Médite. Fais du yoga. Des abdos. Danse. Ecoute de la musique. Regarde tous les replay de tes émissions préférées. Échappe-toi par la pensée. Développe ton imagination. Dessine. Écris. Chante. Joue au Scrabble. Ecoute les oiseaux et apprends leur chant. Fais un grand ménage. Trie. Jette. Range. Déguise-toi. Joue à cache-cache. Raconte des histoires. Regarde le ciel. Récite de la poésie à voix haute. Invente. Crée. Respire. Vis. Ruse.

 


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